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IL ETAIT UNE FOIS EN CASTAGNICCIA
BONICARDU
BONICARDO
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Sur la départementale 71, à peu près à
mi-chemin entre Ponte-Leccia et Prunete, quand on arrive à
Tarrano, on aperçoit niché au fond de la vallée, tout au bout
d'une petite route, perdu au milieu des châtaigniers un tout
petit hameau bâti autour de sa petite église : Bonicardu.
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J'ai connu Bonicardo à la sortie d'une époque
presque moyenâgeuse.
Quand l'électricité est arrivée pour la première
fois dans les maisons, les vieux ont eu peur de cette "chose"
surnaturelle qui allait mettre le feu aux habitations.
Il n'y avait pas d'eau dans les maisons. Pour boire et pour se laver, on
allait chercher l'eau avec la mule à Castallu, à Funtanella
ou à Funtana di Moru. Pour arroser les jardins (chacun avait son
jour), on ouvrait le réservoir de Castallu qui se trouvait à 1
kilomètre de distance et l'eau descendait dans le village en
parcourant une rigole qu'il fallait régulièrement entretenir.
Quand l'eau de Castallu, canalisée par de gros tuyaux noirs qui
serpentaient le long de la route, est arrivée sur la place du
village en 1957, grand-mère a été émerveillée. La corvée de l'eau avait
pris fin.
En
ce temps tous les hameaux de la commune, bien que situés à peu
de distance les uns des autres, étaient isolés dans un épais
maquis et n'étaient reliés entre eux que par des chemins ou "scortoni"
dont le tracé avait du être dessiné au fil du temps par les
troupeaux d'animaux et les bergers. Il fallait presque trente
minutes à partir de Bonicardu pour rejoindre tout en haut, la
"nationale".
A cet endroit, appelé palaghje, mon père avait
construit un garage en planches pour y abriter" sa vieille Berliet,
la première voiture du canton.
Je me souviens de mon oncle qui, pour aller
acheter le pain et les quelques produits d'alimentation indispensables,
partait au moins une fois par semaine avec son vélo sur les épaules. Il
gravissait, souvent sous le soleil plombant de l'été, la longue pente de
plus d'un kilomètre qui devait le laisser exténué au bord de cette
"nationale", partagé entre la douleur de l'effort et le plaisir
d'enfourcher enfin la bicyclette pour pédaler sur la route goudronnée
qui le conduisait à Arcarotta, à Ortia où Lucrezia tenait une
bottegha ou à Felce.
Quand la route est arrivée à Bonicardo en 1958, ce
fût un véritable évènement. Bien qu' à cause de son tracé sinueux et
contrarié on puisse la qualifier à ce moment de piste, elle permettait
enfin au
village de voir arriver sa première automobile. Mon oncle décidait aussitôt
d'abandonner la bicyclette pour une 4 cv Renault que mon père lui avait ramené
d'Ajaccio.
BONICARDU ENTRE 1950 ET
1980 |
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Au début, les premiers marchands ambulants : u panateru (le
boulanger), u macellaru (le boucher), et autres
marcanti ou fattori (commerçants) qui arrivaient sur
la place du village ne fesaient pas d'affaires; ils étaient plutôt une
curiosité nouvelle. Chaque habitant en effet, abattait ses propres bêtes,
cultivait son jardin, récoltait les fruits de son verger, buvait
le vin de sa vigne et fabriquait lui-même son pain.
Seuls, i tragulini, qui vendaient des produits non
alimentaires, avait encore quelques succès.
Et puis, timidement d'abord, puis avec conviction par la suite,
Bonicardu est sorti de son autarcie. Ses habitants se sont ouverts au
progrès, les mentalités se sont transformées, les anciens ont laissé
leur place aux plus jeunes dont l'esprit galvanisé par l'attrait de la
vie moderne leur a fait perdre à travers une affirmation de soi
parfois démesurée, tous les repaires si chers à leurs aïeuls. Grand-père
avait eu raison : "Stu prugressu c'à da fa male";
mais que
pouvions-nous y faire ?
J'ai habité le village jusqu'à l'âge de 6 ans; puis mes parents ont dû par nécessité rejoindre la grande ville; mais le
vécu de ces quelques années a marqué à jamais mon coeur et mon âme
d'enfant car j'ai toujours ressenti l'absence di U PAESE. Ce besoin
viscéral d'en respirer régulièrement son air pur est devenu ma plus
belle maladie et dès l'approche des vacances scolaires je commençais à
questionner mon père: " O Pa' quandu
andemu a u paese ? ".
La création de Bonicardu, son toponyme.
Les premières
maisons de Bonicardo semblent avoir été à l'origine et de par leur construction,
d'anciennes tours pisanes. On peux donc supposer que la naissance du hameau se
situe entre le XII ème et le XIII ème siècle.
"Cardo"
est un mot Romain qui signifie "Axe", voie, chemin. C'est d'ailleurs de
là que vient l'expression des "points cardinaux". Dès lors, pourquoi
Bonicardo ne désignerait-il pas le bon chemin ?.
Mais une autre
explication plus plausible, peut renseigner sur son toponyme :
Du temps des
Giovannali existait entre Perelli et Novale, tout près de l'actuel couvent,
le couvent de San-Francescu d'Alisgiani dont on distingue encore
aujourd'hui les vestiges des fondations.
A cet endroit
précis, en l'an 1354, un moine nommé
Vitale di Bonicardo d'Alesani fut martyrisé par les hérétiques et donna
son nom au hameau. Ces faits sont
corroborés dans un ouvrage de 1686 écrit par Francesco Colonna del Prato
di Giovellina.
"...
Ils (I Giovannali) devinrent assez puissants pour de
persécutés se faire persécuteurs, et, chose inouïe! pour martyriser un moine du
couvent des Mineurs Observantins situé entre Perelli et Novale, deux villages de
la rive droite du Busso : le moine de Bonicardu .
"Un laurier
prit naissance là où fut commis le crime, laurier qui se flétrit à une certaine
époque de l'année pour reverdir le jour anniversaire du martyre...."
Citons également IL D. Pietro MORATI dans sa Pratica
manuale (bull. de la soc. des sc. hist. di bastia) pag.24, qui nous dit : "Un
B. anonimo chiamato (sic) Vitale di Bonicardo di Alesani l'anno 1354, li
2 maggio, essendo l'isola infetta dall'eresia dei Giovannali, volendo difendere
la fedde cattolica, fu coronato del martirio e sepolto nel caveat di detta
chiesa (di S.Francesco d'Alesani)".
LA VIE EN CE TEMPS LA
Vers la fin du XIXème siècle, la densité de la
population de la Castagniccia était de 80 à 90 habitants au km2; C'était la région la plus prospère et la plus active de l'île. Les
touristes et l'artisanat constituaient ses 2 principales richesses.
Il y avait les muletiers et les charretiers
d'Orezza qui avaient acquis leur réputation dans le transport des peaux
et l'acheminement du bois vers l'usine de tanin de Champlan qui
a fonctionné à plein régime de 1884 à 1914 et qui employait une centaine de
personnes. L'acide gallique, extrait du bois des châtaigniers, était mis
dans des tonneaux en bois cerclés de fer et transporté par les
charretiers jusqu'à la gare de Fulelli puis en train jusqu'au port
de Bastia pour être transféré ensuite par bateau sur le continent.
Il y avait l'établissement thermal des eaux
d'Orezza et ses nombreux curistes qui participaient à l'économie
florissante de la vallée. Les 5 ou 6 hôtels de Stazzona et de Piédicroce
ne désemplissaient pas durant les mois d'été et les habitants des
villages qui avaient une chambre disponible la louait aux estivants.
Il y avait aussi les importantes fonderies d'Alésani
et d'Orezza.
Presque chaque village avait sa spécialité : A
Polverosu, on faisait de la vannerie, on fabriquait des paniers et des
bâts pour les mulets et les ânes. A Rapaghju et à E Valle, on fabriquait
des objets en bois, des pipes, des cuillères. A Monaccia, on filait le
lin, on tissait de la toile à sac.
Dans d'autres villages on rempaillait des chaises,
on fabriquait des tamis, des poteries, des poêles, des marmites, on
filait le poil de chèvre pour tresser des cordes (e fune) car en ce
temps là, on ne trouvait ni ficelle ni fil de fer. L'activité la
plus développée était celle de cordonnier.
La commune de Tarranu, quand à elle, était surtout
connue pour sa fabrique d'armes située à Bonicardu et tenue par la
famille CATANI. On peut encore en apercevoir la ruine. Si l'on en croit
les écrits, cette armurerie était le fournisseur privilégié du Général
Pascal Paoli. Dans le langage populaire "la catana" désigne
aujourd'hui le pistolet. Il y avait également à cette époque, toujours à
Bonicardu, une fabrique de Cire, une clouterie et une cordonnerie qui
devait sa réputation cantonale au savoir faire de mon arrière grand-père
paternel.
Mais les rivalités, les jalousies, les haines,
freinaient la croissance, empêchaient tout développement et divisaient les
villages qui s'éparpillaient en hameaux. L'hostilité toujours présente, se
traduisait par des qualificatifs injurieux à l'égard des autres
villages; ainsi, les habitants de
Bonicardu étaient surnommés: "intovinaghjoli".
La pauvreté aidant, tous ces gens de la campagne étaient sordidement matérialistes, se méfiaient les
uns des autres et n'étaient jamais d'accord avec quoi que ce soit ou avec
qui que ce soit tant qu'ils n'y voyaient pas un avantage. Les conflits et
les rivalités partisanes entretenaient la méfiance et divisaient les
habitants des villages en deux camps. Ceux du haut du village descendaient
rarement au "fond" et ceux du bas du village contournaient le village pour
ne pas avoir à le traverser. Preuve de cette situation conflictuelle, on
ne comptait pas moins de 5 fours à pain.
Autre cause de conflits incessants qui persistent
encore de nos jours : les droits de
propriété restent flous car ils s'acquièrent par l'occupation d'une
parcelle pendant un temps relativement court. Aucun habitant du village
ne possède de titre de propriété authentique et tente de faire valoir
ses droits par la seule garantie de la prescription. L'usurpation
et l'occupation de force sont sources de litiges, de haine et parfois de
vengeances, surtout quand il s'agit des terres communales dont la
location pour le pâturage est fréquemment décidée par les maires de
façon partisane. Le clôturage se généralise et l'on confond facilement
droit d'usage, droit de passage et droit de propriété.
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