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IL ETAIT UNE FOIS EN CASTAGNICCIA

LA CORSE ENTRE LES DEUX GUERRES

 

 

La Guerre de 1914-1918 affecte la Corse en profondeur. Les insulaires vont témoigner leur attachement profond à la République et à la nation tout entière. En 1914, près de 50 000 d’entre eux sont mobilisés et envoyés au front pour la défense de la mère patrie. Leurs sacrifices, leurs douleurs et leurs croyances dans les valeurs de la république sont gravés sur les monuments aux morts érigés à partir de 1920 dans tous les villages insulaires. Les pertes sont élevées et la Corse est l’un des départements les plus touchés : 11 325 morts (entre 22 et 28% des classes mobilisables contre 16,3% en moyenne nationale), 12 000 invalides revenus du front. Le 173ème R.I. , unique régiment basé dans l’île et dont la devise rappelle les premiers mots de la Marseillaise « Aiò Zitelli » (Allons Enfants) perd à lui seul 3 541 hommes entre 1914 et 1918.

La saignée dans les forces vives de la Corse est lourde et aggravée par le fait que de nombreux insulaires mobilisés, en s’établissant sur le continent dès la fin de la guerre, contribuent à accentuer le dépeuplement.

La politique d’expansion coloniale s’est poursuivie au lendemain de la guerre et avec elle l’émigration de la population corse. Dans les années 30, les Corses représentent 20% des cadres administratifs dans les possessions françaises outre-mer et 28% de l’armée coloniale. La ponction effectuée sur les éléments les plus dynamiques du pays affecte la quasi-totalité des communes insulaires et accentue l’abandon des terres cultivées. Le nombre de Corses ayant quitté la Corse dans l’entre-deux guerres est estimé à 60 000  soit environ le tiers de sa population. A contre-courant de ce mouvement, Ajaccio et Bastia progressent et bénéficient pour l’essentiel des flux migratoires en provenance d’Italie principalement.

 

Après 1914, des cultures disparaissent entièrement comme le chanvre ou le lin dont la transformation n’est pas en mesure de lutter contre les tissus importés. Les céréales qui couvraient la majeure partie des terres cultivables mais avaient des rendement faibles sont en recul très sensible et subissent la concurrence des farines venues du continent. La vigne, atteinte gravement par le phylloxera, perd les deux tiers de sa surface entre 1913 et 1929. La châtaigneraie et l’oliveraie manquent de bras, les récoltes ne sont plus ramassées et les arbres ne sont plus entretenus. Les terres délaissées sont livrées à l’élevage extensif appauvrissant des sols régulièrement parcourus par les incendies. L’élevage laitier procure une relative rentabilité, grâce à l’implantation des fromageries de « Roquefort », mais sa production reste traditionnelle et ne constitue pas un moteur suffisant pour l’économie locale.

Les quelques activités industrielles sont modestes, médiocres et fragiles. Leur production et leur viabilité sont décevantes. Les petites usines de pâtes alimentaires et d’extraits tannants ferment progressivement leurs portes victimes de la dépendance de l’île vis-à-vis des produits en provenance du continent.

Le réseau routier est toujours médiocre. La portion de voie ferrée qui relie Casamozza à Porto-Vecchio est laborieusement achevée en 1935; encore n’aura-t-elle qu’une existence éphémère : bombardée en 1943, elle n’a toujours pas été reconstruite.

Tandis que l’économie locale agonise, les partis se livrent avec ardeur aux délices de la « pulitichélla » (que l’on peut traduire par l’exercice local de la politique). Le bipartisme domine la vie politique locale : une gauche radical-socialiste derrière Adolphe Landry, successeur d’Emmanuel Arene, et César Campinchi et une droite républicaine, d’inspiration bonapartiste, que conduisent François Pietri et Antoine Gavini.

Les pratiques clanistes et clientélistes se perpétuent lors de chaque échéance électorale, donnant lieu à des luttes passionnées pour la conquête des municipalités, cantons ou circonscriptions législatives. A Ajaccio, le Comité Central Bonapartiste, rallié à la république à la fin du XIXe siècle tient fermement la mairie. L’incorporation de la Corse au système politique français s’est effectuée à travers les clans, organisés et dominés par les notables qui sont devenus des représentants ordinaires de l’Etat. En d’autres mots et à l’intérieur d’un système politique moderne et démocratique, s’est mis en place un sous-système particulier prémoderniste de pouvoir. Du résultat de l’élection dépend la capacité du clan à « rendre service » à ses proches et à sa clientèle. Ce système d’échanges, que l’on retrouve ailleurs à la même époque et sous des formes à peine différentes (Italie ou Espagne), constitue également un moyen de réduire les tensions sociales.

 

Au début des années 20, le banditisme redevient actif dans l’île et brave les forces de l’ordre, impuissantes à l’annihiler. Ce banditisme inquiète l’opinion. Des bandits acquièrent une sorte de « célébrité » à travers des reportages publiés dans les journaux nationaux : Spada, Bartoli, Romanetti. Certains d’entre eux se tourneront vers « le gangstérisme » et exerceront leurs activités sur le continent. Afin d’éradiquer cette menace, les autorités organisent une véritable expédition militaire avec engins blindés et gardes mobiles en 1931. Spada, considéré comme le dernier bandit, est guillotiné en public, en 1935, à Bastia.

La politique scolaire de la IIIème République est efficace. La langue française s’est imposée et l’italien, ancienne langue de culture et d’échanges, a quasiment perdu ses derniers locuteurs.

La singularité de l’exercice du pouvoir politique et social en Corse ne s’est pas traduite par une marginalité particulière dans l’ensemble français. Les balbutiements d’une affirmation identitaire, apparus avant la dernière guerre, se sont exprimés culturellement (littérature et poésie) et n’ont pas eu de prolongement politiques.

A partir de 1923, la situation change. Petru Rocca (1887-1966), éditeur à Ajaccio, créée le Partitu Corsu d’Azione, à l’imitation du Partito Sardo d’Azione, d’inspiration nettement autonomiste qui devient en 1926, le Partitu Corsu Autonomista, dont l’audience reste limitée à une petite frange urbaine. Le parti dénonce les effets néfastes de la politique claniste et prône une réappropriation linguistique et culturelle qui puise ses racines dans la Terre Ferme. Il se réfère également et ouvertement à l’exemple catalan et surtout irlandais. Petru Rocca publie, dès 1920, la revue « A Muvra » (le mouflon) qui sert de support à l’idéologie italianisante du Partitu Corsu Autonomista. Le régime fasciste, qui en 1932 a créé une section corse au ministère de l’Intérieur, suit attentivement le développement de ce mouvement.

Même s’il n’y a pas une coïncidence exacte entre l’irrédentisme mussolinien et le Partitu Corsu Autonomista, A Muvra est aidée financièrement par le régime fasciste. A l’intérieur du parti, une radicalisation droitière et fascisante se produit en 1935 et entraîne une rupture. La revue cesse de paraître en 1940 et certains des membres du Partitu Corsu Autonomista se compromettent définitivement avec le régime mussolinien. Il faut noter le parcours atypique de Anton Francesco Filippini (1908-1985) qui dès 1929, pour des raisons politiques en raison de son engagement dans A Muvra, rejoint l’Italie et y produit la quasi-totalité de son abondante œuvre poétique.

D’autres membres du parti se rallièrent au courant d’idées défendu par l’Annu Corsu, créée par le poète Antoine Bonifacio (1866-1933) et le professeur Paul Arrighi (1895-1975) et dont la ligne éditoriale et politique s’oppose à celle de A Muvra. L’Annu Corsu, devenu l’Année Corse en 1937, régionaliste modéré, « cyrnéiste », se rattache au courant du félibrige et cesse de paraître en 1939.

Cependant, il n’y a pas en Corse de volonté, diffuse ou affirmée, de remettre en cause le rattachement de l’île à la France. Au contraire, les prétentions italiennes sur la Corse renforcent le sentiment français des Corses. Les visées du régime mussolinien sont habilement relayées dans l’île par un tout petit groupe convertit au fascisme et à l’antisémitisme qui trouve notamment appui sur le journal édité à Livourne, propriété du comte Ciano, « Il Telegrafo » qui ouvre une édition corse à partir de 1927. La presse italienne et le régime du Duce continuent à affirmer l’italianité de la Corse. Une réaction violente contre l’irrédentisme, qui balaie également toute idée d’autonomie, se manifeste en Corse à l’occasion notamment des états généraux de 1934 et 1935. Mussolini lui-même relance en novembre 1938 la « question corse ».

« Le serment de Bastia » du 4 décembre 1938 lui répond en réaffirmant avec force l’attachement de la Corse à la France et le rejet de l’irrédentisme mussolinien : « face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes, sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir français. » Des comités antifascistes sont créés à Ajaccio et Bastia. Le président de la République, Edouard Daladier, reçoit en janvier 1939 un accueil chaleureux lors du voyage qu’il effectue dans l’île. Pourtant le 10 juillet 1940, quatre élus de la Corse accordent leur confiance à Pétain (le sénateur Paul Giacobbi joindra sa voix à celle des quatre-vingts opposants ; César Campinchi étant absent au moment du vote).

 

Lorsque l’armistice est signé, le 22 juin 1940 à Rethondes, la Corse se trouve en zone libre. Elle le restera jusqu’au 11 novembre 1942. L’État vichysiste se met en place et la propagande irrédentiste prend de l’ampleur. Peu à peu et, en proie à de grandes difficultés tant matérielles que structurelles, la résistance essaie de s’organiser.


La Corse : premier département français libéré.

A la suite du débarquement allié en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, la Corse est occupée, dès le 11 novembre, par 80 000 italiens. L’administration d’occupation, et avec elle les premières arrestations, déportations et jugements arbitraires, se substitue au régime de Vichy. La résistance insulaire se renforce et s’organise. Les groupes de résistants se multiplient et se regroupent au sein du Front National.

Les généraux Giraud et De gaulle envoient des émissaires sur place. Une aide logistique en armes, munitions et moyens de communication est fournie aux patriotes par des parachutages (particulièrement dans l’Alta Rocca) ou par les missions du sous-marin Casabianca (1ère mission en décembre 1942 dans la baie de Chiuni).

La résistance corse c’est aussi et avant tout des hommes déterminés jusqu’au sacrifice ultime pour s’opposer au fascisme et à l’impérialisme des puissances de l’axe : Nonce Benielli, Michel Bozzi, Maurice Choury, Paul Colona d’Istria, Arthur Giovoni, André Giusti, Pierre Griffi, Dominique Lucchini, dit « Ribello », Jules Mondoloni, Jean Nicoli, Jérôme Santarelli, Fred Scamaroni, Dominique Vicetti, François Vittori, et tant d’autres.

Sans vouloir minimiser le rôle prépondérant tenu par chacun des acteurs, deux figures exemplaires se détachent dans le martyrologe de la résistance en Corse. Celle de Fred (Godefroy) Scamaroni (1914-1943), sous-préfet. Il rejoint Charles De Gaulle à Londres dès 1940. Envoyé en mission en Corse en 1941, il crée le réseau Action R2 Corse. En janvier 1943, il débarque de nouveau dans l’île avec pour mission principale de mieux coordonner les actions de sabotage et de renseignements pour préparer un éventuel débarquement allié en Corse et de doter la résistance d’une direction unique. Traqué par la police politique italienne, l’O.V.R.A., il ne réussira pas dans sa mission d’unification (elle sera réalisée par le capitaine Paul Colonna d’Istria qui prendra sa relève). Il est finalement arrêté. Emprisonné dans la citadelle d’Ajaccio, il est torturé pendant plusieurs jours. Redoutant de ne pouvoir résister à la torture, il se suicide dans sa cellule, le 19 mars 1943. Il a vingt-neuf ans et il n’a pas parlé.

 

Jean Nicoli (1899-1943), non plus, ne parle pas. Antifasciste et anticolonialiste de la première heure, cet instituteur qui après avoir exercé en Afrique et être rentré en Corse, subit douloureusement la défaite de 1940. Après l’armistice, il s’engage dans la résistance, organise des groupes dans le Sartenais et devient l’un des responsables du Front National en Corse. Arrêté en juin 1943, il est mis à l’isolement et torturé sans parler pendant deux mois. Il est condamné à mort le 29 août et est exécuté, en même temps que les radios Bozzi et Luiggi, le 30 août. Pour avoir refusé d’être fusillé dans le dos, Nicoli est décapité.

Le 8 septembre 1943, l’annonce de l’armistice conclu par le gouvernement du maréchal Badoglio déclenche l’insurrection générale en Corse et la mobilisation des 12 000 patriotes. Le commandant des forces armées italiennes en Corse, le général Magli, sur l’insistance de Paul Colonna d’Istria, se range du côté des résistants corses. Le 9 septembre des incidents graves se produisent dans le port de Bastia où patriotes corses et soldats italiens coopèrent contre les troupes allemandes. Ajaccio, Sartène, Lévie se soulèvent et se libèrent le même jour. Les allemands évacuent totalement la région d’Ajaccio le 10 septembre, la préfecture ayant été occupée la veille et une nouvelle municipalité mise en place. Les premiers éléments des forces françaises libres arrivent à Ajaccio - les hommes du 1er bataillon de Choc - et sont rejoints par quelques milliers d’hommes à partir du 17 septembre Des combats meurtriers, à compter du 15 septembre, se déroulent dans l’Alta Rocca et sur la plaine orientale qui sert d’axe de repli à la 9ème Panzer-division. Forte de 32 000 hommes, elle a quitté la Sardaigne pour rallier le port de Bastia afin de rejoindre l’Italie. Elle est aidée dans sa progression par les 10 000 soldats allemands stationnés dans l’île. De violents combats se déroulent fin septembre et début octobre autour de Bastia (Téghime, San Stefanu).

La ville de Bastia qui subit plusieurs bombardements dévastateurs, est libérée le 4 octobre 1943 quand les derniers éléments de la 9ème division panzer, très affaiblie, quittent la Corse.

Le général De Gaulle, acclamé lors de sa visite en Corse du 8 au 10 octobre 1943, peut rendre un hommage vibrant aux efforts et aux sacrifices consentis par la population du premier département français libéré : « ils auraient pu attendre que la victoire des armées réglât, heureusement leur destin. Mais ils voulaient eux-mêmes être des vainqueurs. Ils jugeaient que la libération ne serait point digne de son propre nom… s’ils n’avaient pas leur part dans la fuite de l’envahisseur… » (extraits du discours prononcé à Ajaccio le 8 octobre).

L’histoire de la résistance et de la libération en France reconnaît une place particulière et importante à la Corse. Elle est libérée par ses habitants et par les troupes de la France Libre sans l’appui des autres pays alliés. Les résistants insulaires se battirent pratiquement seuls dès les premières heures du soulèvement et pendant une dizaine de jours. Ils perdirent environ cent soixante-dix de leurs camarades au combat (dont vingt-cinq victimes d’exécutions sommaires), les troupes françaises eurent moins de cent tués, les allemands quatre cent cinquante, les italiens subissant les plus lourdes pertes, pour la plupart aux côtés des patriotes corses et des militaires français (environ 640 morts). L’attitude de la population a été admirable sous l’occupation : les mesures antisémites eurent un impact des plus limités (une cinquantaine d’internement en Haute-Corse et des assignations à résidence en Corse du Sud), aucune dénonciation de juifs, les actes de solidarité et d’entraide nombreux, etc. A la libération, à l’exception de quatre cas, il n’y eut pas de représailles exercées contre les collaborateurs ou les partisans du fascisme. Le Front de Libération y veilla particulièrement, il avait dressé, dans la clandestinité, la liste des coupables qui furent dans leur plus grande part arrêtés.

Bien que libérée, la Corse n’en a pas fini avec la guerre : plus de douze mille jeunes corses, âgés de 20 à 28 ans, sont mobilisés en 1944 et participent activement à la libération du territoire continental et à la défaite du nazisme et du fascisme. L’île devient une base stratégique importante pour les forces alliées en Méditerranée, contribuant à la reconquête de l’Italie du Nord et au débarquement en Provence d’août 1944.

 

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Dernière mise à jour pour cette page : 09 décembre 2020