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IL ETAIT UNE FOIS EN CASTAGNICCIA
A MEMORIA DI U TERDIONE |
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RAMENTI
Eu so lu terdione
E so piu vecchiu che Babbone
Di la vità di l'anticchi
Ne so più che tutti i scritti.
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Malgré les efforts de quelques-uns,
a lingua Corsa a perdu de sa pureté primitive et par
l'introduction d'une foule de gallicismes ou mieux, de mots Français vaguement
pourvus d'une désinence Italienne, tourne au patois. Mais la langue peut bien s'abâtardir,
les routes se couvrir d'autos, le "Pinzutu" envahir les ports et explorer
la montagne, le torrent garde sa voix, le maquis son parfum, la Corse son âme et
nos villages leur charme rude et sauvage.
Mon enfance se souvient des longues veillées d'hiver au
coin du feu, de ces récits où l'histoire et la légende se confondaient bien
souvent pour enrichir mes nuits de songes merveilleux. Aujourd'hui, les voix des
anciens se sont tues et ont emporté dans un silence éternel la mémoire du passé.
T'arricordi quand'e t'hère zitellu
?...
T'arricordi les longues
veillées d'hiver autour du fucone placé au centre de la pièce principale ?.
Dans cette grande salle que l'on
nommait u salone et qui servait à la fois de cuisine, de
salle à manger et de séjour, il y avait u cascionu, a meria et u
bancu noircis par la fumée. Sur les murs recouverts de chaux,
des images saintes, quelques portraits, au-dessus de la cheminée
une crucetta en feuille de palmier tressée que l'on renouvelait
chaque année à Pâques. Le soir, après la soupe délicieuse,
faite par Mammone avec tous les légumes du jardin, on mettait la marmite
de côté et on s'asseyait autour d'un feu qui ne s'éteignait pratiquement
jamais et tu écoutais les adultes parler du quotidien, donner les
dernières nouvelles.
Il y avait toujours
une place pour le visiteur qui frappait à l'heure de la vegghia, le pommeau
de la lourde porte d'entrée. A son pas qui résonnait dans l'escalier
tandis qu'il grimpait les deux étages, on devinait qui arrivait.
Il s'asseyait simplement près du feu
et se lançait dans la conversation en buvant comme les autres un verre
de vin et en mangeant des fasgiole.
La fumée s'élevait lentement,
caressant au passage les jambons, les saucissons et les morceaux de lard
pendus à de gros clous plantés dans les poutres, puis disparaissait à
travers les lattes de la grate noircie par les années.
Dans un rite immuable Babbò
posait sur ses genoux une boite en fer blanc qui avait dû autrefois
contenir des biscuits; elle contenait à présent l'erba tabacca,
qu'il cultivait derrière l'église, et les ciseaux. Il déposait délicatement quelques
feuilles schées dans le creux de sa main et les découpait avec application
avant de bourrer sa longue pipe de bruyère qu'il n'utilisait que deux
fois par jour après le repas. Ton regard émerveillé par tant de
savoir faire ne le quittait pas et tu t'amusais à deviner quel morceau
de tizzone il allait prendre pour allumer sa pipe.
Pour
rien au monde personne n'aurait pu prendre ta place à ses côtés. Il t'entraînait dans ce monde qui n'appartenait qu'a vous et il te
racontait des histoires que tu ne te lassais jamais d'entendre et qui se
terminaient toujours par : "Aiò Babbò, contàmine un'antra !".
En tirant une bouffée, il te répondait doucement
: "E terdi u miò zitellu, vai a
dormé, dumane fera ghjornu".
Babbone c'était ton Dieu, tu
l'accompagnais partout où l'on te permettait d'aller.
Quand il a disparu tu avais 9 ans. Tu as déposé sur son front un dernier baiser en sachant que
tu ne le
reverrais jamais et un morceau de ton enfance est partie avec lui.
T'arricordi quand la
route n'arrivait pas encore à Bonicardu ?.
Quand il s'accordait un peu de repos,
souvent le dimanche après-midi, ton oncle rasé de près et habillé "comme
à la ville", sortait son vélo. Tu lui posais toujours la même question : "In'duve vai ò zi ?" et
il te donnait toujours la même réponse : "A circa moglia
!".
Tu l'accompagnais jusque sous mes
feuillages du gros châtaignier, à cet endroit qui était un peu pour toi la limite du village
et tu le voyais disparaître sur le chemin de
Palaghje pour rejoindre la nationale distante de plus d'un kilomètre,
portant le vélo sur son épaule et transpirant sous le soleil d'été.
A son retour, s''il ne rentrait pas trop tard, tu aurais le droit de grimper sur cette bicyclette qui te faisais rêver.
Puis la semaine reprenait son cours :
Tu entendais ton oncle se lever tôt, comme chaque matin de sa vie, pour aller
donner à manger aux cochons. Vers 9 heures il rentrait casser la croute
: du pain, du prizuttu, ou de frpmage et un verre de vin. Puis il
repartait aux champs couper la luzerne. L'après-midi, s'il lui restait
du temps, avant que la nuit tombe, il partait avec sa faucille a dirascà
sous les châtaigniers pour préparer la prochaine récolte.
Ton
oncle, tu le suivais partout. Dans ce champ de luzerne tu t'asseyais sur
le haut d'une ripa et tu le regardais passer la furlana avec des gestes amples
et méthodiques. Tu l'écoutais siffler et chanter pour se donner du coeur
à l'ouvrage. De temps à autre, il s'arrêtait, crachait dans ses mains et
te lançait: "T'aghju a contà un stalvadoghju !
".
Ti ne ricordi di Mora, di quella
mula et di la sò tintenna quand'ella collava pè u chjassù ?
Après avoir coupé la luzerne, rentré
le foin, tué le cochon, il fallait partir à la plaine s'occuper de la vigne.
Tu dormais encore quand il partait
très tôt le matin en empruntant le long chemin qui conduit à la plaine; .
5 heures de route à travers le maquis en suivant le chemin qui mène à
Pianale puis à Mulinu a l'isulà en passant par
Ferrera, le couvent d'Alesani, Nuvale,
Lupaghe, Petra-di-Verde, Chiatra et Pagliaghja. Ce chemin, simplement éclairé les
nuits sans lune par le phare d'Alistru, qu'il parcourait quelquefois sur
le dos de Mora, il lui fallait bien souvent le faire à pied derrière la
brave mule trop chargée qui glissait sur le chemin rocailleux. Les jours
et parfois les semaines, te semblaient longs. Tu
guettais son retour que tu savais tout proche lorsque tu entendais enfin là-bas,
tout au bout du Scurtone, tinter dans le crépuscule a
tintenna di Mora. Alors tu te précipitais à sa rencontre.
Pendant le souper, à l'heure du
fromage, il mettait dans ton verre quelques gouttes de ce vin qu'il
venait de rapporter et il te disait : "tastà, chi què e vinu e
vinu è". A cet instant précis, ta fierté
n'avait d'égal que ton indicible bonheur.
La vie était dure pour lui en ce
temps-là et tu admirais son courage, sa patience et son obstination.
Il disait, lorsqu'il te parlais
de cette vie "d'avant" : "L'aghjù tribulata a miò vità
!";
Il a forgé ton caractère, il t'a appris les vraies valeurs que sont la sagesse, le respect et le
courage.
Il était plus que ton oncle, il a été
ton second père.
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